Récit Hospital de Orbigo - Astorga
texte sonorisé 16 km
A ton retour, tu rêveras longtemps que tu es encore sur le chemin. Le rêve que j'ai fait cette nuit est à mille lieux du palais de fantaisie que Gaudi avait imaginé, et bien proche de la vie ordinaire. J'ai rêvé qu'un de mes collègues faisait le maximum pour s'emparer de mes clients !
Les deux couples de cyclistes qui prennent le petit déjeuner avec moi viennent tout droit de leurs Pays Bas. Ils ont séjourné à Compiègne, dans le beau refuge de dix places. De la journée qui commence, ce sont les seules personnes avec qui j'aurai une conversation.
Se mettre en mouvement n'est pas trop difficile. Pour cela on y est aidé : en principe les refuges ne te laissent pas dormir deux fois au même endroit. Nous en sommes au quatrième jour et j'enfile déjà mon sac comme un vêtement. Malgré le caillou lisse et coloré que je garde tout au fond, je ne sens plus son poids. Alors, en route !
Les jambes tricotent en cadence. Une montée ensoleillée suivie d'un joli paysage fait de bois et de champs cultivés m'entraînent dans des pensées disparates.
Cette plante à fleurs orange, au bord du champ de luzerne, c'est du souci, le nom me vient à l'esprit, mais si j'en cherche en vain le nom latin, et si, sans résultat, je souhaite me rappeler ses vertus curatives, pour quelle raison et pour quoi en faire ?
Dans l'ondulation du terrain où les pas se suivent, le chemin me semble décidément très beau. Quelle satisfaction ! Il faudrait vraiment, près de là où je vis, faire quelque chose qui montre aux autres que se mettre en route est facile et qu'ils ont tout à y gagner !
Le pigeonnier que j'ai vu hier, était-ce une cabane ou un pigeonnier ? Pourquoi la photo que j'en ai prise est-elle importante ? Ce cube plein a-t-il un sens caché ? L'espace autour est-il si vide ? Qu'est-ce qui compte le plus ? Est-ce la construction à l'aspect fermé ou l'horizon, ouvert au contraire, cette ligne droite qui croit nous mener à l'infini ?
Marcher au pas ou voyager à toute vitesse, c'est changer d'horizon. Partir c'est aussi redécouvrir l'horizon qui n'intéressait plus, qu'on ne voyait plus...
Paysages de villes, vues marines, panoramas des campagnes et des montagnes, l'horizon est un trait fini qui mène à l'infini. Illusion que le monde s'arrête à un endroit précis. On ne peut le prendre dans sa main, il bouge au fur et à mesure que l'on avance. Qui sommes-nous face à cette ligne qui existe et qui n'existe pas ?
Croisée de chemins - Santo Toribio Photo J F F
Justement j'arrive à la Croix de Santo Toribio où ceux qui viennent de Séville par la via de la Plata rejoignent le Camino. C'est de là aussi que, d'un coup, le pèlerin découvre la plaine d'Astorga. Au milieu la vieille ville est perchée sur une sorte d'Acropole.
A propos d'horizon, ce serait intéressant d'étudier les panoramas du monde, de comparer la vue d'Astorga avec, par exemple, la Baie de Salerne du haut de la corniche, les toits de Paris photographiés par les millions de touristes à Montmartre, la cathédrale de Meaux découverte par l'automobiliste qui vient du sud, Florence, belle dame caressée du regard à partir du Piazzale Michelangelo... Juger de la symbolique des courbes du terrain, des volumes des dômes, des élans des tours et des flèches...
Qu'est-ce qui m'a pris à Leon, et pourquoi ? Rater une bénédiction, quelle importance ? L'esprit s'absente quand le corps faiblit... Combien de connections neuronales faut-il pour rester conscient ?
Pourquoi faire simple ? Photo J F F
Le moral est maussade quand je franchis la Puerta del Sol. Je traîne un peu et quand j'approche du Palais Gaudi c'est pour apprendre qu'il est fermé. Qu'il le restera tout l'après-midi parce que c'est dimanche. Et toute la journée demain, parce que c'est lundi.
Sous bonne garde Photo J F F | | Mala suerte !
Impossible de visiter le Museo de los Caminos qu'il renferme.
Je suis dégoûté. |
Ma sieste géante de dépit ne me remet pas en selle. Fatigue, isolement, solitude, mauvaise humeur. En plus, personne à qui parler. C'est ce que je voulais, non ?
N'y pensons plus, demain je dois faire l'ascension de la Croix de Fer, à 1500 m d'altitude
et j'ai quelque chose à y déposer.