Le hasard ou la providence
Incroyable coïncidence : c’est le jour où j’entame la lecture de « Jung, un voyage vers soi », de Frédéric Lenoir que m’arrive cette narration « Une prothèse vers Compostelle », de Hervé de Lantivy.
Seuls ceux qui connaissent mon enfance et l’histoire de ma famille comprendront la résonance que le sujet, le titre, l’illustration de ce livre réveillent en moi. Depuis des décennies la vue d’une personne en situation de handicap me met mal à l’aise, c’est ainsi et c’est plus fort que moi. Si une personne semblable me lit, qu’elle me pardonne en comprenant qu’elle n’y est pour rien, et moi je n’y peux pas grand-chose si ce n’est l’accepter.
C’est donc l’histoire d’un unijambiste qui parcourt le Chemin de Compostelle. Ils sont quelques – uns à le faire et leur mérite est immense.
Beaucoup de volonté, beaucoup, une volonté colossale, et une foi religieuse vissée au cœur et au corps. On retrouve au passage certaines célébrités jacquaires qui ont donné un coup de main ici et là. C’est bien écrit dans le sens où ce n’est jamais ennuyeux, et j’ai aimé des pépites tel ce beau paragraphe sur la liberté p. 113. Un peu de suspense est astucieusement maintenu sur un point douloureux de l’auteur, un point de plus. Il est étonnant qu’aucun psy n’ait été sollicité pour aider à le résoudre.
Le cocasse a sa place p. 156 . Comique de situation à Villafranca del Bierzo, où le propriétaire se prénomme Jésus :
«dans la cuisine, … nous nous apprêtons à nous asseoir quand Jésus nous rappelle à l’ordre : avant tout, dire le bénédicité. Il nous invite à rester debout en tendant les mains vers la table : un grand moment de solitude pour moi car j’ai déjà enlevé ma prothèse ! »
La beauté de la nature entre pour une bonne part dans la résilience jacquaire. Etrange pour un paysagiste (c’est le métier de l’auteur), on note très peu de références au végétal, mis à part genêts, lavandes et bruyères, et un champ de tulipes dans les Landes, juste évoqués. Devant marcher plus longtemps que les autres, il a été difficile de s’attarder sur les talus d’asphodèles, les galaxies de chicorées aux étoiles d’azur, la dignité des digitales, la profusion d’hortensias, la délicatesse des camélias ou les bataillons d’eucalyptus au parfum enivrant.
Un autre regret : le pèlerin vit dans le monde et il a le droit d’avoir un regard critique en bien ou en mal sur ce monde et ses contraintes. Il a le droit – le devoir ? - d’être témoin. Les années 2020 et 2021 ont été entachées d’actes impardonnables de la part des autorités. Pas un mot sur l’insanité des situations. Comme s’il fallait en convenir. Comme si empêcher les gens, à coup de mensonges terrorisants, de circuler, de respirer, de se rencontrer, de vivre tout simplement avait été un « détail de l’histoire ». Heureusement, l’auteur est un peu désobéissant et, dans un café clandestin de la campagne, on lui aura offert à boire.
Pour terminer, Jung, passionné de synchronicité, aurait aimé le paragraphe sur le hasard ou la chance p.119. L’auteur s’interroge sur ce qui l’a amené à trouver fortuitement sur son chemin, un wek-end de l’Ascension, un improbable réparateur pour son portable, honnête de surcroît. Jung, pourtant chrétien convaincu,
se serait-il contenté de remercier la providence ?
ISBN 978-2-7067-2652-1, Edition SALVATOR Collection Chemins d’étoiles, 18,50€